Les algues, des ingrédients super-protéinés aux mille vertus

Dans une étude récente sur le comportement des consommateurs français (Baromètre Protéines France - GEPV de septembre 2020), 30% des répondants se sont dit « très » ou « assez intéressés » par les nouvelles protéines comme les insectes ou les microalgues. Introduites en Europe il y a moins d’un siècle, encore méconnues du grand public, les algues suscitent pourtant un attrait grandissant. Leurs atouts nutritionnels uniques et leurs multiples débouchés, de la cosmétique à la pharmacologie en passant par les matériaux industriels, leur offrent un potentiel de développement très prometteur. Ronan Pierre, responsable du pôle « Innovation & Produits » au Centre d’étude et de valorisation des algues (CEVA), en Bretagne, a répondu aux questions de Protéines France sur cette thématique.

Trois types d’algues pour de multiples débouchés

Au sein des algues, on distingue trois catégories distinctes : les macroalgues, les microalgues et les cyanobactéries. Les macroalgues sont des organismes de tailles, formes et couleurs variées qui se développent en mer, sur les côtes. Elles sont récoltées à l’état naturel en Europe mais peuvent également être cultivées, comme c’est le cas en Asie. La plus connue est l’algue Nori, utilisée pour les sushis. Les microalgues sont des organismes microscopiques produits souvent en eau douce, dans des bassins ou des systèmes fermés. Les cyanobactéries sont un autre type d’organismes microscopiques, souvent classées parmi les microalgues, parmi lesquels on trouve notamment la spiruline.

Ces trois types d’algues sont sources de protéines mais aussi d’autres nutriments très intéressants : phycocyanine (pigment protéique aux propriétés antioxydantes, très utile pour la récupération des sportifs), fer, zinc, vitamines A, B1, B2, béta-carotène, calcium, chlorophylle… Dans leur ensemble, les microalgues contiennent davantage de protéines que les macroalgues. Toutes contiennent une diversité importante de minéraux et de fibres et affichent un bon équilibre des 10 acides aminés essentiels, même si leur digestibilité peut varier en fonction des espèces.

Selon les espèces, on retrouve les algues dans différents types d’aliments. Les microalgues et cyanobactéries prennent l’aspect de poudre et entrent dans la composition de boissons ou des smoothies, des biscuits ou des barres, ou encore des paillettes à saupoudrer dans des yaourts. Les macroalgues sont utilisées plus couramment : dans des sushis, comme condiments, dans des tartares ou des soupes…

En dehors de la production d’aliments en tant que tels, les microalgues sont surtout utilisées comme source de compléments alimentaires (oméga 3, béta-carotène, phycocyanine, etc.) mais aussi de pigments (notamment le bleu pour la spiruline) utilisés comme colorants alimentaires naturels ou pour des applications pharmaceutiques. Les macroalgues, elles, sont aussi utilisées pour la production d’additifs épaississants ou gélifiants. Les phycocolloïdes (alginates, carraghénanes, ou agar) forment en effet 18 à 45% de la masse sèche des algues brunes et rouges et sont largement utilisés comme agents de texture et stabilisants dans les aliments ou des produits du quotidien. Les macroalgues sont également utilisées dans l’alimentation animale, les biostimulants pour les plantes, la cosmétique ou encore la composition de biomatériaux.

Algues

 

Les obstacles au développement du marché des protéines algales

Malgré tous ces atouts, le développement des algues comme source de protéines rencontre plusieurs difficultés. Le premier enjeu est de réduire les coûts de production, notamment en générant des économies d’échelle. Du côté du prix de vente, il s’agit également de valoriser les services écosystémiques de la production d’algues, qui est écologiquement vertueuse en comparaison d’autres productions agricoles.

Un autre défi concerne les autorisations de commercialisation en Europe. Aujourd’hui, le règlement Novel Food régule la mise sur le marché de nouveaux aliments. Seules la spiruline et la chlorelle, ainsi qu’Odontella aurita comme condiment, sont autorisées pour ce qui concerne les microalgues et cyanobactéries, ainsi qu’une vingtaine d’espèces de macroalgues. Plusieurs dossiers pour des espèces de microalgues sont actuellement en cours de procédure. Mais les investissements importants nécessaires pour obtenir ces autorisations empêchent d’autres types de microalgues d’être utilisés en alimentation humaine.

Le goût et la couleur des algues peuvent également constituer des freins pour leur utilisation dans l’industrie agro-alimentaire. La spiruline, par exemple, a un goût et une couleur bleu-vert très marqués. Il faut donc choisir judicieusement les matrices comme les associations d’ingrédients pour les valoriser au mieux. Certains procédés permettent aussi de masquer ou de modifier ces aspects. La production des microalgues par fermentation et la sélection de souches adaptées peut par exemple limiter la production de pigments photosynthétiques, pour produire de la chlorelle jaune plutôt que verte. D’autres méthodes permettent de modifier le goût d’une algue, ou au contraire de mettre en avant des arômes, comme le fait de toaster des algues rouges. Depuis juin 2020, la plateforme collaborative en ligne Sensalg.fr, mise en place par le CEVA et un réseau de partenaires bretons, diffuse des informations sur les procédés de préparation et de transformation des algues et leur impact sur leurs propriétés organoleptiques, nutritionnelles, ou culinaires.

Une dernière limite peut venir de la teneur en protéines par portion consommée. Les algues sont souvent consommées en quantité trop faible pour fournir à elles seules un apport suffisant en protéines. Par exemple, la consommation de spiruline recommandée est de 5 à 7 grammes par jour. Même à 60% de protéines, cela représente une quantité peu significative de protéines. La production de concentrés protéiques à partir de ces algues reste envisageable, notamment pour l’utilisation en alimentation animale, mais rajoute une étape supplémentaire de transformation et des coûts associés.

Leur valeur ajoutée concerne donc davantage les bénéfices pour la santé avec la combinaison d’une contribution à l’apport protéique et d’autres bénéfices (minéraux, fibres, …). Par exemple, pour l’alimentation animale, des poudres d’algues brunes sont utilisées depuis les années 70, non pas tant pour l’apport de protéines que pour leur apport en minéraux et oligo-éléments. Plus récemment, d’autres utilisations des algues ont émergé notamment pour renforcer l’immunité des animaux lors de certaines phases critiques (sevrage ou période de stress).

Un fort potentiel de développement lié à des innovations techniques

En Europe, le marché des algues, quoique limité, est déjà solidement structuré. Du côté des macroalgues, il s’agit d’un réseau de PME qui transforment et éventuellement récoltent elles-mêmes des algues pour produire des ingrédients à destination de l’industrie, ou fabriquent directement des produits alimentaires ou cosmétiques. On note également la présence de gros industriels qui produisent les alginates et carraghénanes évoqués précédemment (JRS, Cargill et Algaïa en France, FMC en Norvège). Du côté des microalgues, il existe un réseau de quelques 150 spiruliniers à travers la France, qui produisent cette cyanobactérie à la ferme pour une vente de proximité en B2C, par exemple sur des marchés et dans des réseaux de proximité. Des PME et ETI possèdent des sites de production plus importants, bassins sous serre ou sites industriels équipés de photobioréacteurs ou de fermenteurs (une centaine en Europe).

De nouvelles sociétés prometteuses, tournées vers l’innovation, se positionnent par ailleurs dans le secteur des microalgues. Fondé en 2013, Algama s’est spécialisé dans le développement de produits alimentaires à base de spiruline ou de chlorelle, avec pour objectif de « sortir la microalgue de son statut de simple complément alimentaire pour l’amener vers la consommation au quotidien » selon son PDG Alvyn Severien. La société Fermentalg, elle, commercialise surtout des huiles riches en oméga 3 (à destination des compléments alimentaires et de la nutrition-santé) ou plus récemment des protéines algales ou des colorants naturels bleus. Cette biotech, qui vient de fêter ses 10 ans, a développé un procédé de fermentation qui permet d’intensifier la production de microalgues.

Les procédés de fermentation, développés depuis une vingtaine d’années en complément de la photosynthèse et en fort développement, illustrent bien le potentiel d’innovation du marché des algues. Cette technique permet de produire de plus grandes quantités sur un espace réduit dans des milieux fermés totalement contrôlés et d’orienter les microalgues vers la production de lipides (oméga 3) ou d’algues moins colorées (jaunes plutôt que vertes).

Du côté des macroalgues, d’autres perspectives d’innovation quant aux procédés de production se dessinent. En Europe, il s’agit actuellement à 99% d’algues sauvages récoltées en mer avec des bateaux ou à pied sur les côtes, par des récoltants indépendants. L’objectif est de développer, comme en Asie, un véritable modèle agricole reposant sur des culture– ensemencement de cordes et de toiles disposées en mer, ou production sur terre, en bassins. Il existe par exemple des prospectives en mer du Nord, pour produire des macroalgues sur des parcs éoliens marins pour optimiser l’espace et les moyens techniques de cette production.

Au total, le marché des algues recèle encore de larges perspectives de développement en France. L’enjeu majeur est de réussir à réduire les prix de production grâce à la mise en place de cultures d’algues à plus grande échelle. L’innovation quant aux débouchés, tant au niveau de l’alimentation humaine que pour la santé animale et végétale et la cosmétique, est aussi très prometteuse. Né pour l’Europe et les Etats-Unis dans les années 70 et 80, ce marché a de beaux jours devant lui.